Décès du comte van den Steen de Jehay

On mande du Havre, en date du 11 octobre, que M. le comte de Jehay, chef du cabinet du roi des Belges, ancien chef du cabinet du ministre des affaires étrangères, ancien (?) représentant de la Belgique à Luxembourg, vient de succomber inopinément à la suite d’un accident de cheval dont il fut victime quelques jours auparavant.

Le comte Frédéric van den Steen de Jehay vint à Luxembourg comme chargé d’affaires en 1908. Lorsque, quatre ans plus tard, la Belgique se décida à accréditer dans le Grand-Duché, à l’exemple de la France et de l’Allemagne, un envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire, ce fut l’ancien chargé d’affaires qu’elle désigna pour le nouveau poste. Elle n’aurait pu choisir mieux. Pendant un séjour de près de six ans, le ministre de Belgique sut gagner la sympathie générale par ses hautes qualités sociales, par son grand tact et ses manières distinguées. Lorsque, quelques mois avant la guerre, le couple royal belge fit au Luxembourg une visite officielle, l’amitié des- deux pays se manifesta d’autant plus chaleureusement que l’occasion lui en avait manqué plus longtemps. Il est impossible de dire tout ce que le comte van den Steen avait fait pour renouer des liens si anciens. Pour lui le souci de cette amitié était plus qu’un devoir et un intérêt réciproque; il suivait en cela une inclinaison de son cœur. Aussi les Luxembourgeois ne mirent-ils pas longtemps à aimer davantage la Belgique dans la personne de son représentant et de hautes distinctions reconnurent-elles officiellement ses mérites.

C’est ici que nous voudrions nous arrêter. —

Les échos des solennités belgo-luxembourgeoises n’étaient pas encore morts, lorsqu’éclata l’ouragan, par un crime contre le Luxembourg. Le cœur brisé, les Luxembourgeois virent chasser indignement de leur sol, par l’envahisseur, le ministre de France. Leur douleur était mêlée d’angoisse, car ils prévoyaient le sort qui était réservé au comte de Jehay et peut-être — disait-on alors — au ministre d’Italie. Le dimanche 9 août, à midi, la légation de Belgique dut partir à son tour. Elle fut suivie des regrets universels.

Déjà nous devisions sur le retour en triomphe des ministres dont l’outrage était le nôtre. Déjà nous nous promettions de dételer les chevaux des carosses et de nous y attacher nous-mêmes, lorsque des bruits confus circulaient, disant que la Belgique avait rompu les relations diplomatiques avec le Luxembourg. L’émotion des Luxembourgeois était grande, car ils craignaient qu’on ne méconnût leurs sentiments et qu’on ne les prît pour des traîtres. Heureusement l’annuaire officiel du Grand-Duché démentit ce qu’il y avait de controuvé dans ces racontars. Depuis, la Chambre a répété l’expression du sentiment national et tous les gouvernements ont manifesté leur volonté de maintenir les relations avec les puissances alliées.

Le comte de Jehay s’en va de ce monde à la veille du triomphe. Si les Luxembourgeois n’ont pu lui tresser une couronne des plus belles roses de leur pays, ils lui garderont un souvenir respectueux pendant de longues années. Le vide qu’il laisse sera l’amertume dans la joie, le jour de la réparation qui commence à poindre pour ses collègues. Puisse sa disparition ne rien changer dans les relations amicales entre le Luxembourg et la Belgique ! P.L.

(Le luxembourg Libre: 1.11.1918)